Annuaire européen d'administration publique n° 37 - Année 2014
- Annuaire européen d'Administration publique
La musique n’est pas seulement un loisir individuel, elle est un champ d’intervention des personnes publiques, c’est à ce titre qu’elle nous intéresse. L’attention portée à la musique en tant qu’instrument d’éducation est ancienne. Aristote consacre son chapitre V de la Politique à l’éducation et développe une longue réflexion sur la musique, qui « forme les mœurs », est « une imitation directe des sensations morales » et il évoque la « puissance morale » de la musique. Il précise les instruments à utiliser, excluant des instruments tels que les pectides ou les sambuques et, curieusement, la flûte qui, écrit-il, « n’est bonne qu’à exciter les passions ».
Des siècles et des siècles se sont écoulés depuis Aristote ou le premier traité de musique qui nous soit parvenu, celui d’Aristexéne, qui était d’ailleurs disciple d’Aristote, et le rapport à la musique a profondément évolué, même si la préoccupation d’Aristote relativement à l’éducation à la musique demeure plus que jamais d’actualité. La dimension sociale de la musique est devenue essentielle, sans parler naturellement de sa dimension culturelle. Et, de ce fait, la musique est aussi devenue une part des politiques culturelles.
Historiquement, dans un pays tel que la France, après la suppression, par la Révolution, des maîtrises, et la période d’abstention de l’Etat, ce sont les communes qui, à l’échelon local, ont entretenu et soutenu les institutions musicales. Elles l’ont fait, dans un premier temps, avant l’Etat, dans un deuxième temps avec l’Etat, en développant des actions qui, incontestablement, relèvent, au moins pour partie, du service public de la culture.
Les collectivités locales et les intercommunalités se sont très largement investies, dans notre région, dans le domaine de la musique. Sans elles, la musique n’aurait pas connu l’éclat que nous lui connaissons. Cela mérite au moins une analyse du point de vue administratif et juridique. De plus, la musique représente, en termes à la fois de compétences, de dépenses, et aussi d’attractivité d’une collectivité, d’une région, une partie non négligeable des interventions de ces collectivités.
Ce domaine de la musique représente donc un sujet d’études, ce qui a été jusqu’à présent peu analysé. La compétence publique, en matière de musique, est partagée entre l’Etat et les collectivités locales. Et la question, qui reçoit des réponses différenciées selon les pays, est à la fois de savoir ce que les pouvoirs publics peuvent ou doivent faire, ne doivent pas faire, et, dès lors que l’on identifié ce champ de compétences « public », comment répartir ces compétences entre l’Etat et les composantes du pays.
Que doit faire l’Etat, que doivent faire les collectivités locales ? La réponse varie grandement selon que l’on a affaire à un Etat fédéral ou à un Etat unitaire, selon que l’on considère que les pouvoirs publics ont un rôle limité ou, à l’inverse, ont un rôle déterminant à jouer, selon également les sensibilités nationales plus ou moins grandes à l’égard de cet art qu’est la musique.
La première composante, peut-être la plus importante aujourd’hui des politiques publiques, est la diffusion. Celle-ci concerne aussi bien les institutions traditionnelles telles que les salles de concert, les théâtres lyriques, que les spectacles musicaux sous toutes leurs formes. Les festivals ont pris, surtout dans notre région, une ampleur tout à fait remarquable, qui mérite d’être analysée (d’autant qu’il existe en la matière une jurisprudence du Conseil d’Etat qui appelle des observations, qu’il s’agisse de l’arrêt Commune d’Aix-en-Provence de 2007, ou de l’arrêt Commune de Six-Fours-les-Plages).
L’une des caractéristiques du temps présent est, tout au moins en France, le développement remarquable du « spectacle vivant » qui trouve de multiples expressions. Et si l’Etat intervient naturellement en ce domaine, ce sont surtout les collectivités locales qui subventionnent le spectacle vivant. Il paraît important de se demander, à la fois, quels sont leurs modes d’intervention (administratifs, financiers, techniques) et quels en sont les effets à l’échelon local, sociologiques et économiques.
La seconde composante est celle de la formation, avec la formation musicale donnée dans les établissements d’enseignement général (et le financement par les collectivités locales), mais surtout des « écoles de musique » qui, quelle que soit leur dénomination, sont pratiquement toutes, à l’heure actuelle, communales ou intercommunales. Le contentieux administratif (qui existe sur la question) met en évidence un certain nombre de difficultés soulevées par les formations dans ces établissements, notamment en termes de financement. Il paraît utile d’identifier les problèmes ou les problématiques et de dégager, autant que possible, des solutions.
Reste la création, c’est-à-dire ce qui est le plus difficile à susciter, à encourager, à provoquer. Chacun de nos pays passe, en matière de musique comme dans les autres domaines culturels, par des périodes de grandes créations, d’invention d’œuvres qui deviennent des chefs-d’œuvre, et par des périodes plus ternes, atones. Qu’est-ce qui explique ces différences ? Cela demeure quelque peu mystérieux, malgré toutes les explications que l’on peut accumuler.
J’aimerais, pour terminer, citer cette très belle phrase de G. Duby, dans un texte consacré à l’un des plus grands peintres de notre temps, Soulages : « L’art est clé. Pour un dépassement, pour le franchissement d’un seuil. Pour progresser de quelques pas par-delà l’écran des vanités perceptibles. Pour prendre assurance sur ce qui est moins vacillant. Pour, un moment, surmonter la difficulté de vivre ».
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