Écritures hispaniques aux États-Unis

En cette époque vouée à la circulation, qui voit la réduction radicale des distances, le nivellement des particularismes et l'effondrement des murs, nous vivons aussi les replis narcissiques, cellulaires et frileux, les crispations et les raidissements, la montée des fanatismes, intégrismes, nationalismes, les discours forcenés sanglés dans la camisole de leurs "identités". En cette heure paradoxale, il nous semble que les voix qui s'élèvent de la minorité hispanique aux Etats-Unis ont quelques leçon, et peut-être quelque espoir à nous apporter. Car voici une "minorité" ethno-culturelle qui, tout à son projet de recentrage pourtant vindicatif face à la culture dominante, se replie vers son centre pour y trouver non pas un bastion fermé, mais un cœur ouvert, celui d'un homme multidimensionnel dont la pluralité des voix nous donne à entendre que son territoire d'appartenance, c'est celui, nomade, du métissage, de l'appartenance multiple, de l'errance, et de l'échange. Avec ce livre se dessine un espace littéraire chicano et nuyoricain éminemment para-doxal où la volonté de repli ne saurait mener qu'à une aire de déploiement. Cette double logique du recentrage et du décentrage, en même temps qu'elle marque le territoire symbolique d'une communauté, désigne celui-ci comme un espace transitif, pluriel, dialogique, éclectique, offert aux turbulences et mutations aléatoires, transcendant les différences culturelles ou ethniques, et en tout cas irréductible aux impératifs conjoncturels du politique. La position interlingue des auteurs examinés leur permet de pratiquer une parole métisse, polysémique et polyphonique, où l'interférence linguistique se ramifie en techniques de transgressions, déséquilibres, vertiges sémantiques, et va porter au cœur même du signifiant la crise qui s'était jusque-là essentiellement jouée au niveau du signifié.