Annuaire européen d'administration publique n°36 - Année 2013
- Annuaire européen d'Administration publique
Le secret accompagne la vie des groupes, des plus petits aux plus grands, des sociétés. Ne parle-t-on pas de « secrets de famille » que l’on trouverait dans toute famille, que l’on chercherait à cacher le plus possible ? Notons immédiatement que le secret de la personne peut se transformer en secret d’Etat : en France le docteur Gubler, qui était le médecin de F. Mitterrand, a écrit un ouvrage intitulé « Le grand secret » et qui évoque tous les efforts pour garder secrète la maladie de F. Mitterrand, avec tous les bulletins médicaux qui étaient publiés régulièrement (c’était un engagement de l’intéressé) et qui étaient naturellement faux …
Les Romains avaient un symbole pour désigner le silence, le secret, c’était la rose (rien à voir naturellement avec le paragraphe précédent …). Et, dans le latin médiéval, lorsque l’on disait sub rosa c’était pour indiquer que l’on parlait sous « le sceau du secret », autre expression que l’on trouve en français et qui est significative de ce que doit être un secret : sceller, c’est refermer, clore, d’une manière qui indique que l’auteur ne veut pas que le contenu soit connu, si ce n’est le destinataire (s’il y en a un). On parle aussi de « secret de Polichinelle » car, tout le monde le sait, Polichinelle ne sait pas garder un secret, il se hâte d’en faire part à tout le monde.
Si une part de secret est inhérente à toute vie humaine, qu’en est-il alors de l’administration ? On est tenté de répondre que cela ne peut être que pire. Car l’administration, par définition, est liée au pouvoir, elle est un instrument du pouvoir, et ce dernier n’aime guère, en général, la publicité, sauf, naturellement, celle qui va dans le sens de sa gloire. De plus, de par son organisation, sa structuration, qui est, dans nombre de nos pays, de type hiérarchique, l’administration est portée spontanément au secret. Elle a tendance à estimer, à tous les niveaux, que l’information qu’elle détient ne doit pas être divulguée (on ne sait jamais l’usage qui pourrait en être fait …), que les décisions qu’elle prend ou s’apprête à pendre doivent être cachées jusqu’au dernier moment.
Qui n’a pas été confronté à cette attitude irritante de l’administration consistant à refuser de communiquer un rapport, sous prétexte qu’il s’agit d’un document interne, qui n’a pas à être communiqué ? C’est là que le droit prend toute sa place, et son importance : il faut que des règles s’imposent à l’administration, pour atténuer ce secret. L’un des aspects les plus intéressants, historiquement, de ce point de vue, est la motivation des actes administratifs. Il ne faut guère attendre de l’administration qu’elle motive de son propre chef, si elle n’est pas contrainte elle ne le fait pas.
Mais cet aspect met aussi en lumière la question des limites. Nous le savons tous, et nous l’admettons (plus ou moins) : il est impossible de parvenir à une complète transparence, et celle-ci, poussée jusqu’au bout, peut d’ailleurs avoir des effets parfaitement pervers (faire succomber les citoyens sous une avalanche de données dont la plus grande partie est sans intérêt, pour mieux occulter ce qui est intéressant, voire fondamental). Comment tenir l’équilibre entre le nécessaire respect de certains secrets et le besoin, qui est aussi une exigence démocratique, de savoir ? De plus, les agents publics, certains plus que d’autres, doivent faire preuve de « discrétion » professionnelle et ont un « devoir de réserve ». La distinction entre ces derniers et le secret est-elle si nette que cela ?
Tels sont quelques-uns des défis qui se posent dans nos sociétés. Nul doute que la Table ronde, qui n’a rien à cacher, est ouverte à tous, et n’a aucun secret pour personne, permettra d’en approfondir tous les aspects.
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